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Esprit(s) critique(s)
12 mars 2006

MUNICH de Steven Spielberg. Oeil pour oeil...

[Work in progress]

« Œil pour œil… et le monde finira aveugle », affirmait Gandhi.

Tel pourrait être le résumé en filigrane (voire le pitch) du film de Steven Spielberg.

Son histoire est simple et le discours est clair, car sans une seule nuance, c’est-à-dire, tout au contraire, plein de nuances multiples - tout ceci dit très positivement.

A la suite de la prise d’otage de onze sportifs israéliens par le groupe de terroristes palestinien « Septembre noir », dont l’issue, sanglante, est montrée dans ses détails tout au long du film par le biais de son esprit, Avner, dont ce n’est pas vraiment le métier, est chargé, aidé par quatre de ses compatriotes israéliens, de retrouver les personnes ayant œuvré à cette horreur pour les éliminer.

Nous ne sommes ici pas loin du magnifique LES PATRIOTES, d’Eric Rochant, dans lequel Yvan Attal (est-ce un signe que Spielberg aime à ce point le cinéma européen pour lui rendre hommage dès qu’il le peut?) tenait le rôle principal.

Steven Spielberg joue avec les suspenses admirablement, désamorçant certains d’entre eux, pourtant tant attendus, et en fabricant certains autres inutilement, pour mieux jouer avec les nerfs du spectateur et peut-être faire naître en lui la même paranoïa s’insinuant insidieusement dans l’esprit du « héros » dans la dernière partie du film.

Au cours d’une séquence impressionnante de maîtrise, le réalisateur va jusqu’à superposer et confondre les suspenses et, lorsqu’une petite fille remonte inopinément dans l’appartement de son père que les cinq « vengeurs » s’apprêtent à faire exploser, Spielberg nourrit à la fois le suspense de la jeunesse mise en péril inutilement (les civils doivent être épargnés) et celui de la réussite de l’opération, de fait que le spectateur ne sait plus -comme à d’autres moments- s’il doit se réjouir ou se désoler que des innocents puissent être indirectement victimes des catastrophes engendrées par la gaucherie des apprentis terroristes.

Malgré l’entreprise politique et philosophique (la vengeance est-elle un mal nécessaire pour avancer vers le bien?), Steven Spielberg s’amuse pourtant, tout au long du film, avec la mise en scène, à la manière (de plus en plus « empruntée ») d’un Hitchcock dont il semble être aujourd’hui, infiniment plus qu’un M. Night Shyamalan définitivement surestimé, le seul et plus que digne successeur.

C’est notamment avec les reflets que joue Spielberg, commençant certains plans ici sur le capot brillant d’une voiture, là sur une autre surface réfléchissante.

Plus loin encore, par ses mêmes jeux de reflets, démultipliés dans certains plans, Spielberg paraît composer par moments de véritables « split screens » sans utiliser aucune séparation artificielle de l’image, mais jouant avec celle-ci pour afficher plusieurs cadres dans le cadre.

Mais ces artifices de mise en scène, pouvant apparaître de prime abord comme gratuits ou surfaits (voire vieillots, mais n’est-on pas, des tenues vestimentaires aux véhicules en tous genres, dans les années 70 ?), servent pourtant bien le propos et font sens, pour peu que l’on réfléchisse (… !), comme de plus en plus chez le réalisateur.

Loin des modes de découpage à outrance pour booster faussement le rythme, Spielberg a pleinement compris les leçons de Sir Alfred et travaille de plus en plus ses plans dans la durée, voire le plan séquence, n’hésitant plus depuis longtemps, même, à embarquer la caméra sur l’épaule ou à la malmener pour être au plus près de l’action mais, surtout, de ses personnages dont chacun est, magnifiquement, fouillé en pourtant seulement quelques croquis parfois.

La référence à Hitchcock, outre l’excellent réflexe de montrer la bombe placée sous la table au spectateur avant de la montrer aux personnages, se lit jusqu’aux choix des traitements d’images (les lumières irradiantes ou la presque monochromie) et à certains partis pris de « caricature » ou de clichés (notamment ceux concernant la France, non des moindres).

Mais l’ensemble étant cohérent, le dispositif fonctionne, armé (dégoupillé ?) dès les premières images par la méprise de sportifs aidant les terroristes futurs tueurs à entrer dans le village olympique en grimpant par-dessus une clôture haute, inconscients d’avoir seulement « cru voir » des sportifs, comme eux fondus dans le village, comme tous les terroristes, de quelque bord qu’ils soient, devront ensuite se fondre dans le monde. Comme souvent, dès la séquence d’ouverture, Steven Spielberg expose avec une clarté sereine se que sera son film, charge au spectateur d’écouter et regarder pour entendre et voir, correctement.

Car tout n’est qu’apparence, du début à la fin, et si le mot d’ordre paranoïaque semble être qu’il faut se méfier de tout et de tous, Steven Spielberg joue avec le reflet des choses et pour ce faire réinvente certains dispositifs, notamment au détour d’une vitrine faisant disparaître un personnage au profit d’un autre à la faveur d’une main posée qui se relève (un « effet reflet » direct déjà testé dans un des plus jolis plans du léger LE TERMINAL, lorsque le personnage de Tom Hanks « essaie » un costume en rentrant dedans par le biais d’une vitre).

Autre référence, le clin d’œil au 2001 L’ODYSSE DE L’ESPACE de Stanley Kubrick et ses jeux constants sur la vacuité et l’absence d’information est-il assumé ?

Les non dits et sous entendus, de mise dans l’histoire racontée, sont également de la partie dans le scénario (mais pas trop) et la mise en scène qui prennent le spectateur pour un esprit réactif et capable d’intelligence, qualité rare au sein de la frange économique du cinéma dans laquelle évolue Spielberg.

Les dialogues, à ce titre, sont épatants.

D’un côté, leur abondance laisse par moments le spectateur un instant frustré de ne pas pouvoir suivre assez bien le sens qu’ils pourraient prendre (et, par la même occasion, les sous-titres sensés leur faisant écho, sont travaillés eux-mêmes pour aller dans ce sens et laisser le spectateur éparpillé un instant, une avancée presque novatrice dans un cinéma grand public), c’est pour qu’il puisse être rassuré de suite par un autre protagoniste, lapidaire (les propos d’une jeune allemande philosophant trop rapidement sont ainsi balayés par Avner qui affirme ne pas comprendre un traître mot de ce qu’elle dit !).

De l’autre, leur usage parcimonieux peut leur faire prendre une valeur inédite, à double sens (Papa disant à Avner qu’il aurait pu être « son fils » mais qu’il ne fait malheureusement pas partie de « la famille » lui fait comprendre que s’il est apprécié par le patriarche, le leader des vengeurs doit pourtant s’en méfier comme de son pire ennemi puisqu’ils ne sont pas du même sang).

Cette lecture des dialogues permet de penser qu’il s’agit d’un film sur la communication (et, par voie de conséquence, également sur l’impossibilité de communiquer). Du pouvoir des médias jusqu’à la nécessité de dire ou cacher certains faits et gestes de nos vies à ceux qui nous sont chers et proches, Steven Spielberg questionne, nuancé, sans apporter jamais de réponse définitive, ouvrant simplement les tiroirs des possibles.

Le spectateur, renvoyé à son propre vécu, reste seul maître à bord. Fort.

Dans ces questions de communicabilité entre les êtres humains, la famille, encore et toujours, mais de manière de plus en plus précise et rigoureuse, reste évidemment au centre des préoccupations de Spielberg, qui fait de son personnage principal un homme sans terre (ou déraciné, il est juif) dont la seule issue salvatrice est la famille qu’il se compose, que ce soit celle qui naît avec sa fille ou celle qu’il se créée quelques temps avec ses compagnons d’infortune.

La problématique de l’intégration découle naturellement de ces constatations comme un thème essentiel du film. Des terroristes qui peuvent pénétrer le village olympique pour perpétrer leurs crimes s’intégrant, déguisés en sportifs, à d’autres sportifs, jusqu’au tours jumelles de Manhattan réintégrées dans le plan final, en passant par les jeux constants de reconnaissance et « méconnaissance » avec les responsables du Mossad (en acceptant sa mission, Avner signe un contrat stipulant simplement qu’il n’a signé aucun contrat et qui le laisse sous les ordres de ses chefs sans que ceux-ci ne puissent pourtant reconnaître, assumer ou contredire son existence, puisqu’il n’en a pas !), la plupart des protagonistes ne cherchent en fait que cela : s’intégrer.

S’intégrer à un groupe de sportifs, s’intégrer à un village, une famille, le monde…

Steven Spielberg termine donc son film en faisant (ré)apparaître, dans son dernier plan, les Twin Towers de Manhattan, depuis lors (1973 dans la fiction comme dans l’Histoire) tombées pour des causes similaires : la folie du terrorisme. Et, par cette dernière image, c’est tout son film que le réalisateur semble remettre en perspective, (ré)intérrogeant ainsi, sans plus de signe, les raisons fondamentales de tous les intégrismes, quels qu’ils soient, y compris même ceux, qui lui sont pourtant si proche, de la cause juive.

Voir aussi ici : http://chrislynch3.canalblog.com/archives/2006/02/04/1324422.html#comments

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