A HISTORY OF VIOLENCE de David Cronenberg. De la violence des silences.
Samedi soir, Grégory découvre avec moi A HISTORY OF VIOLENCE, de David Cronenberg, et je l'envie. Il ne connait pas encore le cinéaste et n'a quasiment rien lu ni vu du film.
Nous avons, d'une certaine manière, assisté à du cinéma en relief sans technologie. La violence était pitoyable mais terrible, dans la salle, aussi. Entre quelques jeunes qui éructaient par moment leur 'déception' de ne pas voir plus de violence sur l'écran - mais qui ont fui la séance avant sa fin, plein d'une lâcheté cohérente avec leur imbécilité- et quelques autres dont l'irrespect bourgeois faisait peine à entendre - par un téléphone portable que l'on n'a pas mis en silencieux ou des craquements de pop corns pendant toute la séance - la violence était autour de nous, présente, jusque dans celle de l'ennui bruyamment exprimée par une voisine à deux ou trois reprises pendant le film.
Que valaient alors, en regard de tout cela, de ce concret stupide et sans respect, la violence sourde et aveugle montrée dans le film lui-même? Des leçons étaient à prendre, pourtant, qui n'ont pas été entendues. Mais pour entendre et voir, ne faut-il pas écouter et regarder?...
Lorsqu'un visage explose sous l'impact d'une balle tirée à bout portant, le résultat fait peur à voir, c'est vrai. Mais la vraie violence, semble vouloir dire Cronenberg, est ailleurs, dans le non dit, le silence, le secret. Le dialogue et la parole comme clés du bonheur? La fin semble l'affirmer, sans mots...
Troublant, étonnant, rigoureux, fascinant, interrogateur.
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PS. Pour une discussion possible, dans A HISTORY OF VIOLENCE, sur la virilité émergeante du fils du personnage principal, adolescent grandissant qui devient presque un homme en se servant de ses poings mais redevient quasiment un enfant après avoir serré un peu trop fort dans ses mains un gros fusil, je propose lecture de l'extrait suivant.
EXTRAIT D’UN ENTRETIEN AVEC DAVID CRONENBERG
réalisé par Serge GRÜNBERG les 23, 24 et 25 octobre 1991 à Toronto.
Reproduit dans LES CAHIERS DU CINEMA n°453 (page 24).
A l’occasion de la sortie de NAKED LUNCH.
(…) On vous associe à une certaine sexualité, libre, féroce, provocante, surtout dans vos premiers films, et ensuite vous semblez vous être beaucoup intéressé à l'homosexualité. On m'a dit que vous alliez tourner M.Butterfly.
Ce n'est qu'un projet, mais M.Butterfly est aussi l'histoire de quelqu'un qui doit créer sa propre réalité afin de vivre heureux. Malgré tous les indices, le personnage principal décide que la créature avec qui il vit est une femme, et il continuera à maintenir cette fiction pendant vingt ans. Tout le monde, probablement, sait que c'est un homme, mais pour lui c'est la femme idéale. Quand il découvre que c'est un homme, le protagoniste cesse de s'y intéresser, il n'est pas du tout homosexuel, il lui fallait inventer la femme avec qui il pouvait être heureux.
Même dans Naked Lunch, la sexualité est plutôt hétérosexuelle.
Oui ! On ne voit que Kiki sortir du lit de Bill. Et quand il voit Cloquet et Kiki faire l'amour, il fantasme un accouplement monstrueux. L'homosexualité est là, mais comme il ne l'a pas encore acceptée, nous n'en voyons rien... Je m'intéresse à l'homosexualité parce que c'est une sexualité strictement inventée, elle n'est pas justifiée biologiquement - l'hétérosexualité a toujours en vue la reproduction, ne serait-ce que potentiellement - et je m'intéresse au moment où les hommes laissent l'évolution et la biologie derrière eux et vont au-delà, en ce sens, je le suppose, la forme la plus pure de sexualité est l'homosexualité, parce qu'elle n'a d'autre justification qu'elle-même. C'est de l'invention. J'y ai pensé, Burroughs décrit des perversions qui vont bien au-delà de l'homosexualité. L'homosexualité est aussi érotique que le reste... dans la pratique, je suis très petit-bourgeois, je ne suis pas très attiré par les hommes, mais en théorie, c'est très bien. (…)